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La Guerre des Flottilles Fluviales

Extrait du livre de Jacques Mordal, fourni par Robert Dupond, matricule 86R48

 

Patrouilles des fleuves et des lacs


Les débuts de 1947 ont vu de nombreuses modifications dans l’organisation du commandement en Indochine.
L’amiral Thierry d' Argenlieu quitte les fonctions de Haut Commissaire et sera remplacé le 27 mars par M .Bollaert
Le général Leclerc est parti, l’amiral Auboyneau termine son commandement et sera remplacé à la têtes des Forces Maritimes d' Extrême Orient le 18 février 1947, par le vice-amiral Battet qui aura sous ses ordres le contre-amiral Graziani comme commandant de la division navale d' Extrême Orient et le contre amiral Kraft commandant la Marine en Indochine.
Saïgon demeure la base principale de ces forces.
L’arsenal en pleine renaissance, a pu assurer les carénages de l’Annamite et de la Gazelle, mais bientôt les besoins des flottilles fluviales absorberont toutes ses possibilités et les avisos devront à tour de rôle rentrer réparer en France, ce qui représente une absence minimum de 10 mois sur trente.
La Division Navale d' Extrême Orient va perdre l’un après l’autre ses trois croiseurs de 10000 tonnes renvoyés en France pour y désarmer.
Le Tourville, resté le dernier, est remplacé au mois de décembre par le Dugay - Trouin, frère jumeau de La Motte - Picquet.
L’arrivée de quatre dragueurs et de l’aviso Commandant Bory ne compensera pas ces prélèvements, mais par contre le renforcement de l’aviation maritime et l’intervention des portes-avions constituent un appoint appréciable.

La crise du 19 décembre 1946 n’avait pas provoqué en Cochinchine des événements spectaculaires comme ceux qui se déroulèrent au Tonkin.
La petite guerre qui sévissait à l’état endémique s’en trouva simplement aggravée et "perfectionnée".
Les rebelles faisaient de rapides progrès dans la technique du sabotage, s' exerçant plus particulièrement sur les routes, ce qui, par voie de conséquence, augmentait pour nous l' importance du trafic fluviale, et partant les charges de la Marine.
Les cours d’eau à leur tour furent bientôt attaqués et obstrués, les convois rançonnés ou pillés, les canaux parsemés de barrages et de pièges .
Si paradoxale que puisse paraître cette comparaison, la guerre que le Viêt-Minh nous même en Cochinchine a plus d’un point commun avec celle qui se déroula au désert, en Afrique, de 1940 à 1942.
De même qu' on occupe pas le désert, qu' on y établit difficilement un front continu, sans cesse tourné, de même on n' occupe jamais intégralement ce pays noyé, imbibé comme une éponge, percé de mille rachs ou arroyos.
On le traverse, on s’installe, de place en place, et derrière vous, reparaît l’adversaire qui demain s’insinuera à votre place pour peu que vous soyez obligé d’aller opérer ailleurs.
L’histoire de la guerre en Cochinchine, comme d' ailleurs au delta Tonkinois, n’a donc rien de comparable à celle des autres guerres.
Qu’on ne s’étonne pas de lire sur un communiqué, l’annonce de la prise d’une ville ou d’un poste dont la conquête avait déjà été signalée quelques mois plus tôt.
C’est qu’on a simplement négligé de vous expliquer qu’entre temps les forces qu’on y avait laissées auront été appelées ailleurs, et que le Viêt-Minh est revenu.
De tels incidents tirent surtout leur gravité des réactions inévitables subies par la population.
Le Cochinchinois est moins combatif, moins accrocheur que le Tonkinois.
Il ne s’intéresse pas beaucoup de la dialectique marxiste, et pense bien plus à son riz.
La tutelle du "colonialisme Français" ne le gène pas, et il demande pas mieux de venir s’installer à l’abri de l’un de nos postes pour y continuer sa besogne quotidienne et y subsister avec sa famille.
Tout se passe pour le mieux tant que le poste reste armé.
Qu' il vienne à être abandonné, et voici les malheureux qui nous avaient fait confiance livrés au x représailles du Viêt-Minh, torturés ou massacrés comme collaborateurs, ou en mettant les choses au mieux, enrôlés de force dans l' armée rebelle.
C' est ce drame constamment renouvelé, qui explique pourquoi les raids du général Leclerc en 1945 -1946 sont restés sans lendemains, faute d' avoir pu laisser sur place une garnison suffisante.
Le commandant d’une division d’assaut opérant dans les Vaïcos se vit un jour amener un soldat du Viêt-Minh qui venait se constituer prisonnier avec ses armes.
Enrôlé de force quelques mois plus tôt, il ne demandait qu’à revenir à ses rizières et à s’installer sous notre protection, si toute fois l’officier français consentait à aller chercher sa famille et ses biens jusqu' au village voisin.
L’homme paraissait sincère de bonne foi.
On déplaça trois L.C.M et tout un commando pour faire le déménagement.
Le commandant de dinassaut qui m’a raconté cette histoire si caractéristique d’une pacification bien comprise, ajoutait un détail pittoresque.
Au moment où l’on achevait le chargement des biens de ce brave homme, on découvrit dans un coin une pauvre femme entrain de se lamenter.
C'était la belle -mère que le gendre refusait d’emmener avec lui, on l’embarqué d’autorité.

Pour l’instant, la besogne urgente était la protection du trafic fluvial.
On organisa des convois et les patrouilles furent renforcées aux passages les plus dangereux.
Faute de landing craft en nombre suffisant, la marine réquisitionna des chaloupes qui furent armées sommairement pour renforcer les escortes.
De grands chalands automoteurs furent habillés de plaque de blindage et munis de canons de 25.
Ainsi se constitua une petite escadre cuirassée aux noms belliqueux de la Foudre, la Tonnante, la Lave, le Volcan, la Dévastation ...
L' approche de la récolte donnait le signal d' un redoublement de la guérilla, car les convois de paddy constituent un butin sans prix pour un adversaire qui en a le plus extrême besoin, à la fois pour nourrir ses troupes et se faire une monnaie d' échange plus valable que sa piastre dont personne ne veut (800 piastres Ho Chi Minh = 1 piastre de la banque d' Indochine), pour assurer la sécurité de ces convois, l' amiral BATTET fit constituer trois groupes d' opérations composés chacun d' un LCI, d' un LCT, d' un LCM, et une section de LCA ou de LCVP destinés à opérer sur le Bassac ou dans le fleuve Antérieur, comme de véritables commandos fluviaux auxquels les avisos dragueurs stationnaires du Mékong pourraient en cas de besoin apporter leur appui.
Ainsi naquirent les D.N.A divisions Navales d' Assaut ou DINASSAU, qui devaient rendre tant de service en Indochine
Cette heureuse création survenait à un moment particulièrement critique.
Depuis le début du mois de Mai 1947, les embuscades s’étaient multipliées en Cochinchine et les accrochages devenaient presque quotidiens.
Fin Mai, un convoi de 1200 tonnes de riz fut presque entièrement détruit par les rebelles après une action très dure au cours de laquelle, nous perdions trois marins et un enseigne de vaisseau.
Quelques jours plus tard, la presqu' île de Camau fut le théâtre d’un drame meurtrier.
Chargée de ravitailler le petit poste de TAN -DU-YET, à quelques kilomètres au sud de Camau, sur le rach MUONG, la lave, commandée par l’enseigne de vaisseau LEREMBOURE, avait appareillé le 6 juin emmenant à son bord, outre son équipage, une section du 43° R.I.C sous les ordres du sous-lieutenant PETITIMBERT.
Elle se heurta à un barrage tenace, fait de troncs d’arbres enchaînés sur une profondeur de 80 mètres, et d’un commun accord, les deux officiers décidèrent de revenir à Camau chercher une équipe de coolies pour dégager ces obstructions.

Au bout d’une semaine de travail, on avait déblayé un canal large de dix mètres, à travers lequel " LA LAVE " pourrait se glisser à la faveur de la marée.
Un premier essai fut tenté le 12 juin, mais la traversée s' étant révélée plus délicate qu' on le pensait, le chaland dut faire demi tour, car la marée ne lui permettait plus d' arriver ce jour la jusqu' au poste de TAN-DU-YET.
D’autres taches non moins pressantes occupèrent " LA LAVE " pendant les jours suivants, si bien que ce ne fut que le 16 qu’elle put reprendre sa tentative.
Entre temps les rebelles avaient précipité de nouveaux obstacles dans le rach.
On essaya vainement de les faire sauter.
Les pétards, mouillés, refusèrent de s’enflammer.
Il fallut une fois de plus faire demi tour.
Mais, pendant que LA LAVE était au prise avec ce barrage, le Viêt Minh avait eu le temps de placer une mine dans le rach.
Au passage, le piège explosa, et le chaland fut coupé en deux par l’explosion.
De chaque rive, dissimulés sous les arbres et les hautes herbes, les rebelles se précipitèrent la grenade à la main.
Une trentaine d'hommes dont six marins avaient été tués sur le coup.
De tous les survivant il n' y avait qu’un homme indemne.
Pour se défendre contre les rebelles, quelques fusils, un fusil mitrailleur, et l’un des deux canons de 25 émergeant encore de l’épave.
On plongea dans le rach pour récupérer quelques cartouches, les rescapés s'organisèrent tant bien que mal.
La nuit fut dramatique.
Le canon de 25 s'enraya, transi par le froid le matelot canonnier KERVIAN en s'escrimant pour le réparer laissa échapper une pièce de la culasse qui tomba à l’eau, il fallut démonter celle de l’autre pièce à demi submergée.
Les secours n' arrivèrent que le 17 dans l' après midi, alertés par deux tirailleurs courageux que LEREMBOURE avait dépêchés à la faveur d' un grain violent qui masquait tout le paysage, jusqu' au poste le plus voisin.
Une expédition punitive fut organisée deux jours plus tard sous les ordres du capitaine de corvette SIMONOT avec LA FOUDRE, L' EMBUSCADE, et quelques engins emmenant le colonel et des soldats du 43 RIC opérations plus importantes avaient été montées pour tenter d' assainir la plaine des joncs.
Elles ne donnèrent pas de résultats décisifs car, dans cette guerre déconcertante, l'ennemi vous glisse entre les mains avec une facilité invraisemblable.
Telle formation rebelle que l'on croit encerclée disparaît au cours de la nuit sans laisser de traces, et tout est à recommencer.

Mais si l’adversaire était difficile à détruire, les résultats n’en étaient pas moins encourageants.
Grâce à nos divisions navales d’assaut, nous avions, à la fin de la saison 1947, repris l’initiative partout.
Soixante bâtiments et engins amphibies avaient assuré le transport à Saïgon de 75000 tonnes de riz assemblées dans le delta.
Pour raccourcir les trajets fluviaux, on ouvrit par la force, en pleine zone dissidente, le trajet du canal Nicolaï qui relie Bussac à l’un des bras du fleuve Antérieur.
Deux divisions navales d’assaut, dont en particulier la 6° (C.C Buot de l' Épine), progressant en liaison avec les troupes du secteur opérant sur les berges du canal, permirent entre le 23 et 30 août 1947, le passage de deux gros convois pour un total de 11.500 tonnes de riz.
A partir du mois d' Octobre1947, il fut créé un commandement des forces maritimes du Mékong dont le premier chef fut le commandant GRANGER VEYRON.
Sous ses ordres la Marine s' acharna à développer son rôle traditionnel de gardienne de la navigation, protectrice des postes isolés, à rendre vie aux liaisons économiques essentielles et aux espoirs de paix, "à raminer sur le Mékong le souvenir des grands marins qui ont su réaliser les premières pacifications".
Un gros accrochage survint le 18 octobre 1947 sur le rach Gauké, lors de l’attaque d’un convoi de Camau à Cantho par une embuscade de 2000 hommes du Viêt Minh.
A la tête du chaland cuirassé " DEVASTATION ", l’enseigne de vaisseau FRICOTEAUX en tua une soixantaine, et le tir de ses canonniers mit le reste en fuite.
Le convoi put poursuivre son chemin.
Par la suite l’ennemi modifia sa tactique.
Tout compte fait, plutôt que d’attaquer et détruire ces convois de riz, n’était il pas plus profitable de les laisser passer en percevant une dîme sur chaque tonne de paddy transportée ?
Il installa de place en place des postes de péage sur les canaux ou les grosses jonques transitent isolement, et pour celles qui naviguent en convoi ses "percepteurs" n’hésitèrent pas à venir en plein Saïgon percevoir les taxes que peu de négociants osent refuser, sachant qu’ils ne sont pas à l’abri de la grenade terroriste destinée à punir les récalcitrants.
Et c’est ainsi que nos marins peuvent dire, non sans humour, que lorsqu' ils escortent un convoi de riz, c’est en fait le convoi qui protège l’escorteur.
Et voila qui explique aussi que, dans la seule année1948 le Viêt Minh ait pu percevoir 250 millions de piastres, rien que pour le transport de ce riz.

Long de 150 kilomètres,large de 25,doublant sa surface au moment des hautes eaux, le grand lac de Tonlé-sap s' étend en amont de Pnom-penh sur la rive droite du Mékong, entre le Cambodge et le Siam.
Le Cambodge nous était demeuré fidèle et, dès le mois de novembre 1945, un petit détachement précurseur avait constitué à Pnom penh sous les ordres du lieutenant de vaisseau BOUL avec quelques anciens de Marine Indochine, doté de moyens de fortune.
Le Siam bien entendu, fit mille difficultés avant de se décider à nous rendre les territoires qu’il avait réussis à nous arracher en 1941 avec la complicité japonaise.
Il favorisait de toutes les manières les agissements du Viêt Minh aux marches du Cambodge et la contrebande des armes.
C’est seulement à l’automne 1946 que nous pûmes reprendre possession des provinces contestées de BATTAMBANG et de la rive droite du Mékong.
Saisissant le prétexte de la fête des eaux, la Marine, depuis la fin du mois d' octobre, avait rassemblé à Pnom penh une petite escadre constitué par la jonque de guerre LA DIEPPOISE de 300 tonneaux, le chaland cuirassé VOLCAN, deux L.C.M, quatre L.C A, et quatre L.C.V.P.
Un peloton du régiment blindé des fusiliers marins et un commando de troupes cambodgiennes avaient pris passage sur les bâtiments de cette flottille.
Le groupe appareilla de VIAM le 6 décembre à 7 heures, traversa le lac Tonlé-sap en ligne de file jusqu' à l’embouchure de la rivière de BATAMBANG et atteignit à 13 h 30 Bac-prea ou les troupes s’installèrent à terre.
Le lendemain LE VOLCAN, suivi des LC.V.P, naviguant au dessus des pistes recouvertes par les hautes eaux, remonta jusqu' a BATAMBANG ou les rebelles ISSARAKS lancèrent dans la nuit du 9 au 10 une attaque assez facilement repoussée.
Dans l’ensemble, les pertes furent limitées, un seul marin trouva la mort au cours de ces opérations qui se terminèrent rapidement.
Pour la fin de l'année, la flottille avait terminé sa mission.
Réduite à des proportions plus modestes, " la patrouille des lacs " subsiste cependant depuis cette époque, intervenant de temps en temps pour châtier les bandes de pirates KMERS - ISSARAKS toujours à l' affût de la moindre occasion d' aller rançonner les villages des paisibles pêcheurs du lac Tonlé-sap.

 

Raid sur le fleuve rouge.

Avec la consolidation de nos positions à Haiphong, Hai duong et Nam Dinh, nous tenions désormais les points les plus importants du delta du Tonkin.
Nos communications fluviales étaient à peu près assurées par le fleuve rouge jusqu' à HANOÏ.
Les forces du Viêt Minh s’étaient repliées dans la région montagneuse du Haut-Tonkin, ou il n’était peut-être impossible au prix d’effort décisif, d’arriver à les réduire.
Il ne s’agissait au maximum que d’une trentaine de milliers d’hommes à neutraliser.
Cette manœuvre décisive, au succès de laquelle était lié le sort de la guerre d’Indochine en cette année 1947, avait été envisagée dès le mois de mai.
Le gouvernement français avait donné son accord pour une campagne qui nécessiterait une force de l’ordre de 20000 hommes et qui durerait environ 6 mois.
Une première opération limitée, fut montée dans les premiers jours de mai.
On avait signalé la présence à Phu-tho (à cent kms en amont de Hanoï sur le fleuve rouge), d’un certain nombre de services du gouvernement Hô Chi Minh, de quatre cent otages, et peut-être d' ho Chi Minh lui même.
Un coup de main hardi permettrait peut-être, si l’on ménageait la surprise, de libérer les prisonniers et qui sait je ?
De capturer quelques hautes personnalités du Viêt Minh.
L’opération ARIANE devait combiner une action des parachutistes lâchés sur Phu-tho, ou ils étaient seuls en mesure d’assurer une surprise tactique absolue avec un raid de la flottille fluviale de Hanoï, qui pousserait jusqu' à Phu Tho, recueillerait les parachutistes et se replierait ensuite après avoir réduit toutes les résistances rencontrées.
Le commandement avait été confié au Lieutenant - colonel COMMUNAL du 6° R.I.C.
La flottille était commandée par le capitaine de corvette LANDROT.
C’était du point nautique, une véritable aventure.
On n’avait aucune information récente sur l’hydrographie du fleuve rouge en amont d' Hanoï.
Les eaux étaient basses.
Cependant, l’un des officiers de la flottille, le Lieutenant de vaisseau CREVECOEUR réussit à mettre la main sur un Annamite, pratique du fleuve, dont les conseils devaient se révéler précieux.

Dans la nuit du 12 au 13 mai, LANDROT, appareilla à 2 h 30 avec un convoi qui comprenait le L.C.I 102, le L.C.T 1329, 4 L.C.M et 4 L.C.A remorqués à couple par les plus gros engins.
CREVECOEUR avec son Annamite, conduisait la flottille à bord d’un L.C.M, guide de navigation.
Le début fut extrêmement pénible.
La lune était levée, éclairant les berges du fleuve.
La flottille franchit le pont DOUMER, et chercha longtemps son passage.
Au bout de trois heures d’efforts, on n’avait pas encore parcouru un kilomètre, Le colonel commençait à désespérer, cependant que, piqués au jeu, LANDROT et CREVECOEUR redoublaient d’efforts pour trouver une passe franchissable.
Leur ténacité fut récompensée, et le jour à son lever trouva le convoi engagé dans un chenal étroit mais suffisamment profond.
Ce fut la seule difficulté nautique réelle de l’opération.
A 10 heures du matin LANDROT se crut en devoir d’assurer au colonel que l' on arriverait certainement à Phu-tho, dut-on finir la route avec les L.C.A.
On pouvait donc déclencher les parachutistes.
On trouva cependant deux barrages en cours de route, au passage de Son-tay l' un d' eux fut très dur à ouvrir et le génie du intervenir.
Au cours de cette opération, le L.C.A 73 tomba en panne, dériva sur les obstructions et se fit de graves avaries.
L’obstacle franchit, la flottille poursuivit sa route et se présenta à 18 h devant Vietri ou elle fut saluée d’une rafale de mitrailleuse.
La riposte fut immédiate, de tous les engins du convoi : 40,20, et mitrailleuses des Landing craft, un canon de 105 installé sur le L.C.T, et toutes les armes des troupes qui se trouvaient à bord se mirent à cracher le feu sur la ville qui disparut bientôt sous la fumée et la poussière.
L’action avait été brève, mais elle fut vive, et les aviateurs qui appuyaient le convoi, obligés à ce moment précis de faire demi tour à cause de leur essence, revinrent à Hanoï en y apportant la nouvelle qu’une furieuse bataille se déroulait à Vietri.
L’état major des T.F.I.N ne devait pas fermer l’œil de la nuit.

En amont de la rivière Claire, qui se jette dans le fleuve Rougeà Vietri, les eaux commencèrent à se faire plus rares.
Le commandant LANDROT proposa donc au colonel COMMUNAL de laisser à Vietri le gros de la flottille, et de continuer le raid avec trois L.C.M qu' il conduirait personnellement.
Ce qui fut fait.
Les trois engins reprirent leur route et, de toute la journée du 14 ne rencontrèrent pas d’obstacles infranchissables.
Toutefois la navigation se révélait de plus en plus pénible.
Les chenaux étaient difficiles à trouver.
Deux barrages arrêteront longuement la flottille au niveau de Hong-hoa.
La nuit tombait, et l’on n’avait plus la moindre idée de l’endroit ou l’on se trouvait, la distance ou l’on pouvait être de Phu-tho.
Cependant les parachutistes devaient trouver le temps long LANDROT décida de continuer malgré tout, et les trois L.C.M reprirent leur lente remontée en lançant des éclats de projecteur sur la rive gauche dans l’espoir d’une réponse amie.
Celle ci survint à 21 h au moment ou l’on commençait à entrevoir des lueurs d’incendie ... les maisons de Phu tho en flammes.
En réalité, les parachutistes n’avaient pas trouvé à Phu tho, ni Ho Chi Minh, ni ses ministres, ni les otages ...
Une ville totalement évacuée.
LANDROT repartit aussitôt pour ramener à Vietri, ou les forces du colonel COMMUNAL
s’étaient solidement installées dans l’intervalle, la moitié des parachutistes.
L’autre moitié devait être reprise par un JUNKER.
A peine arrivée à Vietri, on reçut à minuit 15 un S.O.S des parachutistes laissés à Phu tho que l’aviation déclarait maintenant ne plus pouvoir recueillir.
Il fallait envoyer les L.C.M. à leur secours.
LANDROT y expédia CREVECOEUR.
L’aller et le retour furent exécutés en un temps record, mais non sans perte, malheureusement, car les trois engins se firent "allumer" au retour, au passage de HONG-HOA, malgré la présence des "SPITFIRE" qui les escortaient.
Trois morts dont deux marins, il y avaient une dizaine de blessés.
La flottille reprit le chemin de Hanoï ou elle arriva sans histoire.
Pour ce qui est de la navigation, ce raid était une parfaite réussite, dont tout le mérite revenait à la ténacité du commandant LANDROT qui était arrivé jusqu' au but et avait réussi à dégager tous les parachutistes, en dépit de sérieuses difficultés.
D’un point de vue plus général, c’était évidemment un coup pour rien.
On n’avait pas trouvé à Phu tho ce que l’on cherchait, et l’on n’avait pu laisser de troupes ni à Phu tho, ni à Vietri ou le Viêt Minh se réinstallait aussitôt qu’il le désirait.

 

La rivière Claire et Song-cam.

La saison défavorable et le calme relatif qui régnèrent sur le delta du fleuve Rouge pendant l’été 1947, limitèrent pendant les mois suivants l’activité de la Marine à des opérations de police de transport.
La libre circulation fluviale dans la région d' Hanoï, Haidong, Haïphong, Nam Dinh, paraissait assurée, et le charbon de Hongay commençait à revenir à Hanoï par chaloupes remorquées.
Au mois d’août, pour la première fois on put franchir le canal de Bac-ninh ou canal des Rapides, dans les deux sens, au cours d’une opération qui portait bien entendu le nom d’opération " NIAGARA ".
Une compagnie rebelle fut dispersée au passage.
On n’attendait plus que le retour de la saison favorable pour reprendre des opérations d’envergure et mettre en oeuvre le plan d’action préparé contre les forces du Viêt Minh, avec la destruction de son gouvernement et de son armée dans la région montagneuse située au nord de la rivière Claire.
Le rassemblement des forces était commencé.
Les renforts ne pouvaient arriver au Tonkin que par la voie des mers, et le "TOURVILLE" seul croiseur de 10000 tonnes encore présent en Indochine, ou il avait effectué plusieurs rotations entre Saïgon et la baie d’Along au printemps fit un deuxième voyage dans la seconde quinzaine de septembre.
Malheureusement depuis la naissance de ce projet offensif, d’autres soucis avaient amené le gouvernement français à réduire l’effort consenti au profit de l’Indochine.
Les troubles de Madagascar avaient dérouté vers l' Océan Indien quelques uns des bataillons prévus pour le Tonkin.
Dans l’espoir de rétablir un équilibre budgétaire indéfiniment compromis, on réclamait pour les premiers mois de 1948 une réduction des forces du corps expéditionnaire de 113000 hommes à 90000 hommes.
Bref au lieu d’avoir à sa disposition 20000 hommes pendant 6 mois le général SALAN commandant les T.F.I.N ne devait en avoir que 12000, et encore était-il entendu que la campagne ne devrait pas durer plus de trois mois.
Économie de bout de chandelles qui devait se payer cher à long terme en vie humaine, et en argent.

Il s’agissait d’encercler le réduit du Viêt-Minh entre les deux branches d’une tenaille, dont l’une suivrait la vallée rivière Claire sur l’axe Hanoï-Ha-giang, et l’autre la frontière de Chine sur la ligne Lang-son-Cao-bang.
De Lang-son, déjà sous notre contrôle, un groupement motorisé de la valeur d' une demi-brigade avec blindés et artillerie devait pousser le long de la route coloniale N° 4 en direction de Cao- bang ou les parachutistes auraient été lâchés au préalable, puis s' infléchir en direction de Bac-kan.
La deuxième branche de la tenaille serait constituée par les forces transportées par la Marine de Tuyen-quang en remontant la rivière Claire.
L’opération débuta le 8 Octobre par un lâcher de parachutistes sur Bac-kan ou le Viêt-Minh pris complètement par surprise laissa entre nos mains l’un de ses ministres, quelques uns de ses otages et un matériel important, dont le principal poste d’émission de radio Viêt-Minh.
Le même jour, la colonne de Lang-son débouchait à Dong-dang, puis malgré les coupures accumulées le long de sa route, s' emparait de That-khé et faisait liaison le 14 avec les parachutistes de Cao-bang, et presque aussitôt après avec ceux de bac-kan.
Les forces d' Hanoï devaient appareiller le 9 sous les ordres du Lieutenant-colonel COMMUNAL, à bord de trois divisions navales d’assaut groupées sous le commandement du capitaine de frégate LE GOUAS.
La mission de la Marine consistait à transporter ces forces jusqu' à Tuyen-quang ensuite de les ravitailler et à les renforcer dans cette base avancée, enfin à les amener aussi loin qu’il serait possible le long de la rivière Claire et du Song-cam en direction du réduit Viêt-Minh, ainsi qu’éventuellement par le fleuve rouge en direction de Lao-kay à la frontière de Chine.

Dès la fin du mois de septembre, la flottille fluviale d' Hanoï avait été renforcée par des petits engins amenés d' Haîphong par le canal des rapides, (opération Niagara 2) et par de gros engins acheminés par le Cua-ba-lat (opération Caravane).
Ces forces réunies furent constituées en trois D.N.A à chacune desquelles fut affectées une section du commando Jaubert.
La 1° D.N.A était commandée par le capitaine de corvette LANDROT et comprenait un L.C.I, un L.C.T, 2 L.C.M, 2 L.C.A, ou un L.C.V.P et un L.C.S chargé d’ouvrir la marche de l’ensemble.
Les D.N.A 3 et 5 respectivement commandées par le L.V GARNIER et le L.V NIVET-DOUMER avaient une constitution analogue.
Chacune transportait en gros un bataillon léger avec ses éléments d’artillerie, de génie, une antenne chirurgicale, du matériel, des mulets, etc ...
Tuyen-quang devait être attaqué par toutes les forces concentrées, la D.N.A 1 débarquant son bataillon sur la rive droite de la rivière Claire en amont du bac de la route coloniale N°2, la 3 en aval de la ville sur la rive gauche, pour s’assurer le contrôle des hauteurs voisines, la 5 à Tuyen-quang même.
Cette première phase de l’opération s’effectua conformément au programme.
Dans la soirée du 13 Octobre,1700 hommes étaient débarqués à Tuyen-quang avec 80 mulets, 25 véhicules, 7 pièces d' artillerie et 440 tonnes de vivres et de munitions, de quoi subsister et se battre pendant 1 mois et demi.
La D.N.A LANDROT redescendit sur Hanoï le 17 octobre pour y former un deuxième convoi qui fut de retour à Tuyen-quang le 21, amenant un renfort de 250 hommes, 90 mulets, et 170 tommes de vivres.
Mais l’affaire, qui avait si bien commencé, se mit alors à se gâter.

Alors que le premier convoi n’avait rencontré qu’une opposition insignifiante, le second fut durement accrochée à 20 kms en amont de Vietri.
Un troisième convoi fluvial parti de Hanoï le 22, tomba dans une très grande embuscade le 23, au point précis ou le précédent avait été "allumé" quelques jours plus tôt.
LANDROT fut blessé.
Le L.V CREVECOEUR commandant le commando Jaubert, embarqué sur le L.C.T 1.139 avec une partie de sa compagnie, dut prendre lui même la barre de l' engin, dont l' abri de navigation ne renfermait plus que des blessés, et sauva ainsi le bâtiment d' une situation critique .
Le convoi avait perdu neuf tués dont les enseignes BIENFAIT et ROUCHAUD.
Il ne put continuer sa route.
Un renfort de 4 L.C.M et 4 L.C.V.P parti de Tuyen-quang à sa rencontre fut pris à partie le 24 par l’artillerie du Viêt-minh à Phu-doan.
L’un de ses engins fut désemparé.
Un obus brisa la barre d'un autre, dont le patron, quartier de manoeuvre CURTIL blessé lui même, réussit à réparer l' avarie et s' efforça de porter secours à son camarade d' infortune jusqu' au moment ou un nouvel obus lui déchiqueta le bras droit.
Le L.V GARNIER était parmi les blessés auxquels une jeune S.F.F (services féminins de la flotte), ODILE MAURIER, embarquée comme infirmière sur le L.C.M hôpital, prodiguait ses soins sous le feu avec un dévouement admirable.
Bref, la situation était difficile : un engin détruit, les autres bloqués en aval de Phu-doan.
Il fallut constituer un nouveau convoi de secours qui partit de Hanoï le 28 sous les ordres de L.V SIRODOT et remonta péniblement la rivière Claire, accompagné par les troupes à terre qui dégageaient les berges sur son passage
Il devenait donc évident, au bout d’une dizaine de jours d’opérations, qu’il serait difficile d’assurer, à partir d' Hanoï l’entretien d’une base avancée à Tuyen-quang.

Toutefois les engins de LANDROT et de GARNIER avaient pu, dès les premiers jours, explorer la rivière Claire jusqu' à Bac-nang et le Song-cam jusqu' à Chiem-boa.
Navigation délicate.
Le Song-cam n’avait pas été reconnu au delà de Ngoï-cham, à 11 milles du confluent de la rivière Claire.
Le courant atteint 4 à 5 noeuds aux hautes eaux, et même 6 ou 7 en période de crues.
Il est impossible de mouiller, car les ancres ne tiennent pas sur ces fonds de sables et de petits galets.
Les coudes y sont brusques entre les rochers et les bancs.
Quant à la rivière Claire, en amont de ce confluent, elle n’avait jamais été explorée qu’en sampan.
Tout comme le Song-cam, ce n’est en somme qu’un torrent sur lequel la flottille devait essayer de satisfaire, jusqu' à l’extrême limite de ses possibilités, toutes les demandes de l’armée.
Au cours de ces missions, le Lieutenant de vaisseau CLUZEL remontant ces torrents à la tête de la flottille, fut pris dans une embuscade, et blessé le 1° novembre.
Deux petits engins heurtèrent des têtes de roches et coulèrent au cours d’un transport de blessés.
Deux autres furent incendiés le 10 novembre dans une embuscade tendue au confluent de la rivière claire et du Song-cam, et il fallut envoyer du secours de Tuyen-quang pour dégager les rescapés.
Au total les premiers objectifs avaient tous été atteints, mais au moment de passer à l’exploitation on s’apercevait que les effectifs engagés étaient trop faibles pour consommer l’encerclement de l’adversaire.
On lui avait porté de rudes coups, mais il a réagi lui même avec une grande agressivité, sitôt passé le moment de surprise.
On constata bientôt que le gros de ses forces glissait vers le sud dans le réduit Tuyen-quang-Cho-chu-Thai-nguyen-Vietri.
Bientôt notre base de Tuyen-quang allait se trouver dangereusement exposée et l’abandon en fut décidé le 15 novembre.
Les L.C.T commencèrent l’évacuation et l’arrière garde fut enlevé le 22 novembre par un convoi de petits engins.
La descente dura 15 jours.
Progressant lentement sous la protection des troupes qui marchaient sur chaque rive, les derniers engins n’arrivèrent à Hanoï que le 8 décembre.
Ainsi cette opération " LEA ", avait elle frappé dans le vide.
Cette deuxième incursion de la flottille du fleuve Rouge en amont d' HANOï se soldait en définitif par un échec.
Cependant la Marine avait exécuté intégralement toutes les missions qu’on lui avait confiées.
Elle y avait laissé 7 engins sur les vingt et un engagés.
Ses pertes en personnel s’élevaient à 9 tués et une vingtaine de blessés, dont un tiers des officiers.
Et cependant, en pleine zone ennemie, malgré les difficultés de navigation d' ailleurs prévues et annoncées au commandement terrestre qui savait qu’on ne passerait pas indemnes, le song-cam et la rivière Claire avaient été remontés plus haut qu’ils ne l’avaient jamais été par aucun bâtiment de guerre.

 

 

Aux lisières nord du delta tonkinois.


Dès qu' il fut évident que l' opération " LEA " ne donnerait pas les résultats escomptés, le commandement décida de déplacer son offensive vers la lisière sud-est du nouveau réduit ennemi, de part et d' autre de la petite chaîne montagneuse du Tam-dao, sur les axes Vietri-Yinh-yen et Phu-lang-thuong-Thaï nguyen.
Ces opérations, d’envergure plus limitée furent aussi beaucoup plus heureuses.
Elles pouvaient malheureusement plus conduire à un succès stratégique définitif.
Ici encore la participation de la Marine était fort importante.
Elle devait porter sur la rivière Song-thuong avec comme objectif l’occupation des Sept-Pagodes, Phu-lang-thuong et Bo-ha.
La division navale d’assaut désignée pour cette opération D.N.A 5 C.C MANGIN D' OUINCE se rassembla à Haï-duong les 17 et 18 novembre.
Sept-Pagodes fut pris le 19 et Phu-lang-thuong le 23, puis les engins assurèrent le transport des renforts à Phu-lang-thuong et la progression des troupes jusqu' à Bo-ha, à 25 kms en amont.
Autant les opérations de la rivière claire et du Song-cam avaient été pénibles et coûteuses, autant l’opération "CATHERINE" se trouva facilitée, à la fois par des conditions d’un terrain beaucoup plus ouvert que ces vallées encaissées du Haut -Tonkin propices aux embuscades, et par l’expérience des combats précédents.
Protégée par le commando JAUBERT qui marchait le long des rives à sa hauteur, lui même protégé par les armes des landing craft, la division navale d’assaut termina l’opération avec des pertes qui se limitaient à un tué et quelques blessés.

 

Une nouvelle tactique était née, rappelant celle de l’emploi des chars lorsqu' ils avancent en liaison avec l’infanterie, s’appuyant et se protégeant mutuellement.
Moins d’un an après sa création en Cochinchine, la division navale d’assaut venait de l’imposait au Tonkin, illustrant le bien-fondé de l’appréciation portée quelques temps auparavant par le commandant des troupes du sud, lorsqu' il se félicitait de ce que " pour la première fois nos forces armées disposaient d’un instrument stratégique souple grâce à la diversité de son matériel, susceptible d’intervenir en toute région sans être lié aux servitudes de la sécurité territoriale ".
La campagne d’automne 1947 se termina le 22 décembre.
De tout le terrain ou nos troupes avaient opéré, nous ne conservâmes que les postes frontières de la R.C 4 et le poste de Bac-kan.
Par contre nous nous étions solidement installés à Sept-Pagodes et à Phu-lang-thuong.
Les opérations de Dong-trieu, ou la flottille débarqua trois cents hommes du 1° au 7 février 1948 sous la protection de sa propre artillerie, et l' occupation du massif rocheux de la " baie d' Along terrestre " eurent bientôt complété notre dispositif de sécurité à la lisière nord du delta.
Malheureusement, les forces Viêt-minh n’étaient pas détruites comme on l’avait espéré un moment.
La campagne qui, sur le plan militaire, aurait peut-être pu être gagnée cette année, allait maintenant s' éterniser et s' aggraver, avec le regroupement et le renforcement de l' adversaire qui constitueront, au cours de l' année 1948 ce que le général MARCHAND a appelé la remonté du Viêt-Minh.

 

FIN

Source Web / Forum Cols bleus et Pompons rouges avec autorisation de l'auteur

 

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